lundi 10 octobre 2011

Etre PEUL au Burkina Faso















Les bonnes questions du président de SEDELAN
Koudougou, le 9 octobre 2011

ces jours-ci, j'ai pris le temps d'interroger quelques vieux peuls, chefs de familles. J'en ai interroger un au sud de Fara (au sud de la mine d'or de Poura). Je lui ai demandé depuis quand ils étaient arrivés « ici ». Il m'a dit, qu'il ne savait pas exactement, mais que c'était bien avant l'arrivée « des blancs » ! C'est à dire, il y a plus de cent ans.
J'ai demandé s'ils pratiquaient la transhumance. Il m'a répondu : « Oui, depuis 8 à 10 ans. Avant cela, il y avait assez de place pour nos animaux. Et surtout, il y a trop de feux de brousse maintenant ». J'ai demandé comment se passait la transhumance ; notamment si les femmes accompagnaient les troupeaux. Il m'a répondu que seuls « les enfants (les hommes) de 30 à 40 ans partaient en transhumance. » On rassemblaient tous les troupeaux du village, et on choisissait une douzaine d'hommes (donc pas de femmes) pour accompagner le bétail. Une douzaine d'hommes sur une population de 300 à 400 peuls. A peine 4% de leur population. Cette transhumance dure environ 5 mois (vers Batie, et le Ghana) : de fin janvier-début février à fin juin-début juillet.
Ayant appris que les femmes ne partaient pas en transhumance, je me suis inquiété de la nourriture que pouvait mangé les hommes qui accompagnaient le troupeau. Il m'a été répondu qu'ils mangeaient essentiellement du bassi (couscous de petit mil) dilué dans du lait. Parfois des ignames.














Les autres peuls que j'ai interrogés ces jours-ci habitent la région de Founzan (l'un à l'ouest, l'autre au sud). Les deux sont nés dans le village qu'ils habitent aujourd'hui, l'un en 1 935, l'autre en 1 942 ou 1943. Ils sont bel et bien sédentarisés. Davantage que certains mossis, ou même certains fonctionnaires séparés de leur famille par une affectation dans une région éloignée.
Soyons sérieux, les peuls du Burkina sont bel et bien sédentarisés, parfois depuis fort longtemps. Malgré cela, souvent, ils manquent de terre. Ils sont rarement propriétaires du terrain où ils habitent. C'est pourquoi ils n'ont pas le droit d'y planter des arbres.
A vrai dire, on peut penser que le gouverneur connaissait très bien tout cela. Alors, demander aux éleveurs de se sédentariser serait une façon de rendre responsable les peuls des conflits de plus en plus fréquents entre éleveurs et agriculteurs, notamment des conflits fonciers autour des zones pastorales que les agriculteurs voudraient s'approprier. Nous y reviendrons. Il est même probable que l'occupation des terres deviennent un des thèmes majeurs de notre lettre, car rien n'est réglé.
Quand j'entends, ou que je lis, presque chaque jour, que beaucoup de terres agricoles du Burkina ne sont pas exploitées, mais qu'en même temps je vois que les éleveurs traditionnels n'ont plus d'espace disponible pour leurs troupeaux, je me pose des questions.
Quand je lis que la population du Burkina double tous les 25 ans, mais qu'en même temps je vois qu'on offre à des sociétés multinationales des centaines de milliers d'hectares pour y faire pousser du jatropha, j'ai l'impression que l'on pense davantage à l'avenir des pays riches, gros consommateurs de carburant, qu'à l'avenir des burkinabè.
Koudougou, le 9 octobre 2011
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

lundi 26 septembre 2011

Honte à Agritech Faso et aux promoteurs industriels de jatropha.

Le lundi 8 août 2011, le quotidien burkinabè « L'Observateur Paalga » publiait un article intitulé :
« Boni : Nous avons vu couler le biodiesel « made in Burkina ». En introduction, il est dit : « Pari réussi dans le projet de biocarburant à base de jatropha à Boni dans la province de Tuy. » Et pourtant !

jatropha dans une terre aride, entre Boni et Pa : où sont les noix ? terre aride +goutte à goutte : toujours pas ne noix, ou si peu !L'article poursuit : « Recueilli pour la première fois le samedi 3juillet 2011, ce biodiesel est jugé de très bonne qualité » Qu'il soit de bonne qualité, je n'ai pas à en douter. Mais quand j'ai lu (page 10 et 11) les propos du maire de Boni : « C'est un projet communautaire avec implication totale de la population », je me suis dit : « Ou la situation s'est améliorée depuis 2007 (lire : Agro carburants : chance ou menace pour les paysans burkinabè ?), ou il s'agit d'un article publicitaire. Cela vaut la peine d'aller voir de plus près. Je vais aller interroger quelques un de mes amis. Ils y sont nombreux, depuis que j'ai passé 4 ans (de 1993 à 1997) dans ce village ».

C'est ainsi qu'il y a quelques jours, j'ai pu m'arrêter quelques heures à Boni. Ce que j'ai vu et entendu n'est pas très glorieux. Le jatropha n'est pas « la plante miraculeuse » dont on nous dit qu'elle pousse sur les sols arides. En effet, Agritech Faso a bien fait quelques essais dans la plaine peu fertile de Boni. Mais les résultats ne sont pas brillants (voir les photos ci-contre, malgré l'irrigation du sol, avec un système de goutte à goutte!).

Bien nourri, le jatropha peut donner des noix Voici les noix prêtes à être cueillies !Par contre au village, j'ai vu de beaux jatrophas en bordure d'une cour. Des arbres bien nourris avec de beaux fruits, qui confirment ce que je disait le 21 mars 2009 : Le jatropha ressemble beaucoup à une vache laitière.

Je n'ai pas vu « l'implication totale de la population ». Plusieurs m'ont dit que même le Conseil Municipal prend ses distances avec le Maire. Que ce n'est pas un projet communal, comme cela avait été dit au début, mais le projet de M. Patrick Bondé, maire de Boni.

Pire, les paysans regrettent déjà d'avoir consacré trop de terre au « projet jatropha ». Certains ont commencé à arracher quelques plants, mais la peur les empêche de tout arracher. Ils ont peur d'avoir des ennuis avec Afritech... voire avec le gouvernement.








Les paysans de Boni, qui ont tous quelques animaux, regrettent d'avoir céder la colline au profit du « projet jatropha ». Ils ne savent plus où conduire leurs animaux pour les faire paître...

Parfois, la division surgit dans les familles. Par exemple quand un « vieux » qui avait partagé ses terres (attribué, mais pas donné) entre ses fils, et qu'il reprend deux hectares au plus jeune pour les « donner » contre de l'argent au projet jatropha, c'est à dire à Agritech Faso. La jalousie s'instaure entre les enfants... L'unité de la famille et la solidarité tendent alors à disparaître.

Dans la maison d'Ambroise, les tout premiers plants de jatropha Dans la pépinière d'Agritech FASO, dite Le journaliste a repris les propos du Maire de Boni : « Plus d'une centaine de personnes bénéficient de salaires réguliers sans compter les travailleurs temporaires, qui sont, eux aussi, rémunérés ». Si c'est vrai, ils ont bien de la chance. En disant cela je pense à mon ami Ambroise qui a été embauché comme pépiniériste en 2007 (il a laissé son travail de maraîchage pour cela). Il a travaillé dur avec une réussite certaine (les photos ci-contre en témoignent), mais il n'a jamais été payé malgré mon intervention auprès du Maire de Boni. Il a donc été en justice à Bobo...

Le 12 novembre 2009, le tribunal de Bobo-Dioulasso condamnait « le Projet Jatropha » (représenté précédemment par M. BONDE Yacouba) à payer à Yimien Ambroise un peu plus de 1 800 000 F. Mais il n'a toujours pas été payé sous-prétexte que le « projet Jatropha » n'a pas d'existence juridique. Aujourd'hui, la procédure suit son cours pour que soit condamnée la société Agritech Faso. Mais quand celle-ci sera condamné on nous demandera sans doute :« êtes-vous sûr qu'au moment des faits la société AGRITECH FASO avait une existence juridique ? »

Ce qui est sûr, c'est que le Maire de Boni connaît bien les faits et qu'il sait qu'il fait bien partie des responsables de cette injustice, comme les autres promoteurs de AGRITECH FASO. Comment être fier d'une « telle réussite » quand dès le début les paysans ne sont pas payés, et n'arrivent pas à se faire payer... même quand ils gagnent leurs procès ?

Honte au Maire de Boni ! Honte à AGRITECH FASO !

Sur la route de Ouagadougou à Bobo-Dioulasso, Agritech FASO, dit projet jatropha Tant qu'un seul paysan restera impayé, les promoteurs du projet jatropha ne devrait pas envisager d'inaugurer leur grande usine : « Ce sera la plus grande usine de biodiesel en Afrique de l'Ouest » se réjouit M. Rouamba de retour d'une mission de prospection dans le Sud-Ouest (L'Observateur Paalga) … à la conquête de nouvelles terres, tant AGRITECH FASO est insatiable. Les paysans devraient s'en méfier...

Mais aussi, honte aux promoteurs industriels de jatropha. Le cas de ce projet de Boni est en effet révélateur de l'hypocrisie de ces promoteurs et de leurs discours.

Le jatropha, serait une plante miracle qui pousse dans les terres arides, et donc sa culture n'entrera pas en concurrence avec les cultures vivrières. A Boni nous voyons déjà que ce n'est pas vrai, alors que le projet n'en est qu'à ses débuts. Et le directeur général adjoint d'AGRITECH FASO, Pascal Rouamba n'hésite pas à dire (dans ce même numéro de l'Observateur Paalga) ! « La crainte d'une concurrence avec les cultures vivrières est une appréhension non fondée ». Mais les paysans de Boni regrettent déjà d'avoir consacrée trop de terre au jatropha...

Et pour nous faire croire ce mensonge, on n'arrête pas de répéter : « Le jatropha peut servir de haie vive ! ». Mais ça les paysans le savent depuis longtemps. Ils n'ont pas eu besoin d'AGRITECH FASO pour faire des haies de jatrophas. Mais curieusement ces mêmes promoteurs, quand ils nous parlent de leurs ambitions ne s'expriment pas en km de haies, mais en hectares ! Ainsi la société BRP, basée à Abidjan a pour objectif la production d'un million d'hectare de jatropha. Soit en km de haies, environ 160 000 km, c'est à dire 4 fois le tour de la terre ! AGRITECH, lui calcule en centaine de milliers d'hectares ! Qui ose encore affirmer que « la crainte d'une concurrence avec les cultures vivrières est une appréhension infondée ! » Dans peu de temps, nous en ferons la triste expérience : la promotion industrielle du jatropha et la paix sociale sont incompatibles.

J'ai bien peur que les premiers touchés par la folie du jatropha soient les éleveurs, à l'instar des agriculteurs-éleveurs de Boni qui ne savent déjà plus où aller faire paître leurs animaux. On nous dit qu'il reste beaucoup de terres disponibles, mais alors pourquoi les éleveurs ne savent pas où se rendre pour la transhumance ?

Koudougou, le 25 septembre 2011
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

dimanche 24 juillet 2011

quelques nouvelles de la filière coton du Burkina par le président du SEDELAN




Il est temps que je vous donne quelques nouvelles de la filière coton du Burkina. En effet, ceux qui n'ont pas accès à la presse burkinabè peuvent croire que depuis les conflits entre les producteurs de coton et la SOFITEX dont je vous ai parlé dans ma lettre du 8 mai 2011 sont résolus. Or il n'en est rien . Dans plusieurs provinces, non seulement le boycott de la campagne cotonnière est une réalité, mais certains producteurs de coton vont jusqu'à détruire les champs de coton d'autres producteurs.
Comment en est-on arrivé là ?
C'est ce que je voulais comprendre avant de vous en parler. Mais, commençons par rappeler quelques faits. Le 9 mai, l’Association interprofessionnelle du coton du Burkina (AICB) confirmait les prix d'achat du coton pour la prochaine campagne. Seule une réduction de 1 000 F par sac de 50 kg d'engrais était accordée. Le 12 mai on pouvait lire dans la presse nationale une copie du document témoignant de cette dernière décision. Cette copie, comme il se doit, est signée du président de l'AICB, qui n'est autre que le président de l'Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina. Et le lendemain, ce dernier, donc le Président de l'UNPCB, signait un article fustigeant les producteurs de coton partisan du boycott. Cet article est paru dans le N° 6923 du quotidien burkinabè Sidwaya.
Il faudra bien un jour que l'on se demande si l'UNPCB est bien dans son rôle (et donc se demander également : quel devrait être son rôle) quand elle signe comme président d'une structure interprofessionnelle, le prix d'achat du coton ? Quand elle n'est pas suivi par sa base, ne devrait-elle pas s'abstenir ?
Toujours est-il, qu'à partir de là, le dialogue a semblé rompu, et que de nombreux producteurs de coton n'ont pas apprécié ces décisions. Dans plusieurs provinces des réunions de producteurs se sont tenues au cours des quelles la décision a été prise de ne pas faire de coton cette année. Par la suite, selon ce qu'il m'a été rapporté, certains producteurs qui avaient adhérer à la décision commune, ont fait marche arrière, et ont semé du coton. C'est alors que dans plusieurs localités du pays, les plus décidés ont réagi à cette volte-face et ont été jusqu'à détruire ces semis de coton.









Il est aisé de comprendre que cela n'a pas été apprécié par le gouvernement. Mais fallait-il utiliser la force ? En tout cas, c'est ce qui a été fait dans le Kénédougou (sud-ouest du Burkina). En témoigne l'article ci-dessous paru dans le quotidien Sidwaya du vendredi 15 juillet 2011.
« Autorisés à intervenir dans la province du Kénédougou, sur réquisition spéciale, pour protéger les personnes qui ont décidé de produire du coton, des éléments de la police et de la gendarmerie ont dû affronter, le lundi 11 juillet 2011 à Deina, village situé dans la commune rurale de N’Dorola, des paysans qui ont détruit une centaine d’hectares de champs de coton.
Au regard de la situation qui prévaut actuellement dans le Nord du Kénédougou, le gouvernement a été obligé de prendre ses responsabilités. En effet, depuis quelque temps, des producteurs mécontents, empêchent d’autres de s’investir dans la culture du coton. Le 4 juillet dernier par exemple, 52 hectares de champs de coton avaient été saccagés à Zanfara, par des paysans du département de Morolaba. Ces champs appartiennent à des producteurs de Kodona ayant leurs exploitations agricoles à Zanfara, dans le département de Morolaba. Depuis, la tension est vive dans cette partie de la province.
Selon nos sources, les autorités ont décidé de prendre des mesures énergétiques pour mettre fin à ces actes de vandalisme. C’est ainsi qu’un premier contingent de forces de défense et de sécurité, fort de 60 éléments, a été dépêché sur les lieux, dans la nuit de samedi 9 à dimanche 10 juillet 2011. Ensuite, s’en est suivi un autre, composé de 45 éléments, le lundi. Aussitôt, ces forces de l’ordre ont mis la main sur quelques meneurs. Une situation qui a amené les autres producteurs « rebelles » à prendre d’assaut la brigade territoriale de la gendarmerie de N’Dorola pour exiger la libération de leurs camarades. Face au refus des forces de l’ordre d’obtempérer, ces derniers sont repartis dans le village de Deina, non loin de Bangasso, où ils ont détruit plus de 100 hectares de coton.
C’est ainsi que les forces de défense et de sécurité ont intervenu. Et cela a créé un affrontement entre les deux parties. Le bilan fait état de 2 véhicules détruits au niveau des forces de l’ordre et 3 gendarmes légèrement blessés. Aucune perte en vie humaine n’a été constatée. Du côté des paysans, il y aurait également quelques blessés, mais on ignore leur nombre. Pour l’heure, le calme est revenu dans la zone et les forces de l’ordre continuent leur patrouille pour mettre la main sur tous les meneurs. Selon toujours nos sources, certains producteurs « rebelles », de peur de ne pas se faire arrêter, ont fui leurs villages pour des destinations inconnues. Dans ces villages, on ne trouve désormais que des femmes. Quant aux paysans arrêtés, ils auraient été transférés à Bobo-Dioulasso. »
Signé : Apollinaire KAM
De nombreux commentaires ont été publiés sur le site web du quotidien Sidwaya. Je ne veux pas prolonger la polémique qu'ils manifestent. Je conclurai, comme annoncé, par cette question : le rôle de l'UNPCB est-il un rôle syndical qui pourrait aller jusqu'à conseiller de ne pas faire de coton (si pour différentes raisons les producteurs n'y trouvaient pas leur intérêt) ou est-il de défendre la filière coton quoi qu'il en coûte aux producteurs (défendant ainsi les intérêts de l'Etat et des sociétés cotonnières) ?

Koudougou, le 18 juillet 2011
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

samedi 16 juillet 2011

De l'habitat troglodyte au tourisme solidaire



Quand des paysans se font hôteliers : le campement de Niansogoni.
Le week-end dernier, avec un ami et un petit-neveu, je me suis offert un peu de tourisme. Nous avons été dans le sud-ouest du pays, visitant les cascades de Banfora et les rochers de Sindou. De là, nous avons rejoint le village de Niansogoni, et son campement. Le site est remarquable. Le campement également.


Le village de Niansogoni, est un village « Wara ». Les Waras forment un sous-groupe de l'ethnie sénoufo qui compte environ 1 500 000 individus, répartis en plus de 30 sous-groupes. Le pays sénoufo, lui, s'étend sur 3 États : le Mali, la Côte d'Ivoire et le Burkina Faso.
Niansogoni en sénoufo signifie « entre les collines ». Le nom Wara du village «kwomu» («10 familles») rappelle les dix familles qui créèrent le village. Il n'y a pas si longtemps, les Waras vivaient dans la falaise, dans les rochers. Les derniers habitants de Niansogoni à abandonner le site et à s'installer dans la plaine le firent en 1980. Ceci explique le bon état général de ces habitats troglodytes et la présence de vestiges qui nous permettent d'imaginer ce fut la vie quotidienne des habitants : jarres, greniers de forme ogivale superbement décorés, divers ustensiles et outillages (lames de houe, marmites, des cors en fer, etc.).



L’accès au site et aux ruines troglodytes demande trois quarts d'heure d'ascension. Des guides, fils du village, dont les parents habitaient ces ruines, se feront un plaisir de vous accompagner.






Il me faut également parler du campement. Ce n'est évidemment pas la première fois que je suis hébergé par des paysans. Quand j'étais en paroisse à Kiembara au pays samo, au nord-ouest du Burkina, je passais la moitié de mes nuits dans les villages, accueilli par des familles de paysans. Quand j'apprenais le samo, puis le samoma (deux langues qui ne sont pas de la même famille), j'ai passé des mois dans les villages, logeant chez des paysans. Mais avec le campement de Niansogoni, c'est la première fois que je logeais dans une structure hôtelière gérée directement par les paysans du village. Et j'ai bien apprécié, comme mes compagnons. Je ne parle pas seulement des commodités : une case ronde pour chacun (avec douche à l’extérieur), un lit avec moustiquaire et des draps propres, un repas tout à fait correct, avec une bière bien frappée (grâce à un frigo solaire), un petit-déjeuner avec du pain et de la confiture de mangues... et tout cela pour 10 euros environ par personne.
Mais ce que j'ai apprécié le plus, c'est que les touristes n'ont pas abîmé le village (ils ne l'ont pas gâté !, comme on dit ici). Aucun enfant ne nous a approchés pour demander un cadeau ou un bic, ou encore des bonbons, comme c'est trop souvent le cas dans les lieux touristiques. J'ai cherché à comprendre comment cela était possible ?
Je me suis tourné vers Richard. C'est lui qui est à l'origine du campement : « C'est en 2002 que nous avons eu l'idée de construire un campement pour accueillir les touristes qui devenaient de plus en plus nombreux, surtout en janvier et février. Dès le début, nous avons voulu que ce soit l'affaire de tout le village. C'est pour cela que nous avons créé une association de solidarité pour le développement de Niansogoni. Nos vieux y participent. Aucune décision importante n'est prise sans leur accord. C'est ainsi qu'en 2002, nous avons construit les 4 premières cases, et les douches et les latrines. »


Je lui dis que je suis étonné, mais heureux, de constater qu'aucun enfant n'est venu demander un cadeau ou des bonbons. Il me répond : « Dès le début et jusqu'à aujourd'hui, nous expliquons aux touristes qu'en donnant des cadeaux aux enfants, ils vont les « gâter ». J'ai visité le pays dogon, et je ne veux pas que les touristes transforment nos enfants en mendiants. Je leur dis parfois : Pourquoi, parce que vous êtes plus riches que moi, allez-vous donner à mes propres enfants plus que ce que je peux leur donner moi-même. Il y a des villages où les touristes ont tellement pourri les enfants, que certains ne vont plus à l'école ! C'est aussi pour cela que nous avons créé notre association. Si vous voulez aider nos enfants, faites vos dons à notre association, nous pourrons leur offrir leurs fournitures scolaires. Les touristes comprennent ce langage. Certains ont même été jusqu'à créer une association dans leur propre pays pour soutenir notre village à travers notre association. Grâce à eux, notre école a maintenant 6 classes, au lieu des trois précédemment. »
Aujourd'hui, plusieurs jeunes ont reçu une formation de guide et d'accompagnateur. En lien avec des agences de tourisme présentes au Burkina, ils peuvent accompagner des groupes de 4 à 9 touristes pour des randonnées à pied d'une ou deux semaines.
Nous avons là une initiative paysanne qui, me semble-t-il, mérite d'être connue.

Koudougou, le 9 juillet 2011
Maurice Oudet
Président du SEDELAN

mardi 5 juillet 2011

«Y'en a marre», Sénégal







Après une décennie de mouvements isolés, les Sénégalais se sont très largement mobilisés le jeudi 23 juin pour contraindre Wade à abandonner son projet. Des milliers de personnes, essentiellement des jeunes, ont fait bloc pour exprimer leur colère et leur écœurement face à un système politique corrompu et verrouillé. Dans les rues de Dakar, les manifestants scandaient «Y'en a marre». «Y'en a marre», comme le nom du collectif qui avait appelé à ces rassemblements.

Les coupures régulières d'électricité paralysent le pays depuis plusieurs années et sont l'une des revendications majeures des mouvements citoyens. «Globalement, ils ont l'électricité une heure sur deux parce que la compagnie nationale (la Sénélec) produit le courant au fioul, expliquent les trois anthropologues. L'argent destiné à acheter le fioul n'est visiblement pas allé où il fallait, alors que le ministre de l'énergie est Karim Wade, le fils du président. Comme les fournisseurs de fioul ne veulent plus faire crédit, beaucoup de centrales ne fonctionnent pas.»





Cette situation cristallise bon nombre des colères : «Quand il y a des émeutes, les sièges de la Sénélec sont pris d'assaut et détruits. Le 23 juin, le mouvement concernait la question constitutionnelle, mais au passage, quelques sièges de la Sénélec ont été saccagés.»




Aux problèmes désormais «classiques» des inondations et des coupures d'électricité vient aujourd'hui s'ajouter celui des expulsions, liées à la construction d'une autoroute à péage reliant Dakar à Diamniadio. «Dans un pays où le PIB par habitant est inférieur à celui de l'Inde, on se demande qui va payer ce péage...», remarquent les anthropologues.

«C'est Bouygues et l'entreprise Apix (Agence nationale chargée de la promotion de l'investissement et des grands travaux) qui sont derrière le projet. Des gens vont gagner de l'argent là-dessus et l'État, comme toujours, va les y aider.» Qu'importe si pour cela des milliers de Sénégalais sont mis à la rue.

Source : http://www.mediapart.fr/journal/international/020711/senegal-les-yen-marre-font-trembler-le-regime-wade?page_article=4

dimanche 3 juillet 2011

Les fonds de pension : des acteurs clés dans l'accaparement mondial des terres agricoles

Les acquisitions de terres agricoles à grande échelle provoquent conflits et controverses dans le monde entier. Et pourtant, les fonds continuent à déferler sur les terres agricoles à l'étranger, comme attirés par un aimant. Une situation qui s'explique par les rendements qu'on peut attendre de ces investissements. Et parmi ceux qui recherchent les bénéfices dans la terre agricole, certains des principaux acteurs sont des fonds de pension, qui investissent des milliards de dollars dans ce secteur.
Les fonds de pension brassent aujourd'hui 23 000 milliards de dollars US d'actifs, dont 100 milliards de dollars sont apparemment investis dans les produits de base. Sur cet argent investi dans les produits de base, entre 5 et 15 milliards de dollars serviraient à acquérir des terres agricoles. D'ici 2015, ces investissements dans les matières premières et les terres arables sont censés doubler.
Un nouveau rapport de GRAIN explore le rôle des fonds de pension dans l'accaparement mondial des terres. Selon les experts, ces fonds sont les plus gros investisseurs institutionnels de terres agricoles à l'étranger. Et pourtant, ces investissements utilisent les économies des gens pour leur retraite. Les fonds de pension sont donc peut-être l'une des rares catégories d'accapareurs de terres auxquelles les gens peuvent couper l'herbe sous le pied, pour la bonne et simple raison que c'est de leur argent qu'il s'agit.
Pour lire ce nouveau numéro d'À contrecourant, c'est ici : http://www.grain.org/articles/?id=81

news@grain.org

jeudi 30 juin 2011

S'informer, c'est résister...


http://www.petitiononline.com/accap...

Appel de Dakar contre les accaparements de terres
Nous, organisations paysannes, organisations non-gouvernementales, organisations confessionnelles, syndicats et autres mouvement sociaux, réunis à Dakar pour le Forum Social Mondial de 2011 :

Considérant que les agricultures paysannes et familiales qui regroupent la majorité des agriculteurs et des agricultrices du monde, sont les mieux placées pour :

•répondre à leurs besoins alimentaires et ceux des populations, assurant la sécurité et la souveraineté alimentaires des pays, fournir des emplois aux populations rurales et maintenir un tissu économique en zones rurales, clé d’un développement territorial équilibré,
•produire en respectant l’environnement et en entretenant les ressources naturelles pour les générations futures ;
Considérant que les récents accaparements massifs de terres au profit d’intérêts privés ou d’États tiers ciblant des dizaines de millions d’hectares - que ce soit pour des raisons alimentaires, énergétiques, minières, environnementales, touristiques, spéculatives, géopolitiques - portent atteinte aux droits humains en privant les communautés locales, indigènes, paysannes, pastorales, forestières et de pêcherie artisanale de leurs moyens de production. Ils restreignent leur accès aux ressources naturelles ou les privent de la liberté de produire comme ils le souhaitent. Ces accaparements aggravent également les inégalités d’accès et de contrôle foncier au détriment des femmes ;

Considérant que les investisseurs et les gouvernements complices menacent le droit à l’alimentation des populations rurales, qu’ils les condamnent au chômage endémique et à l’exode rural, qu’ils exacerbent la pauvreté et les conflits et qu’ils contribuent à la perte des connaissances, savoir-faire agricoles et identités culturelles ; Considérant enfin que la gestion foncière, ainsi que le respect des droits des peuples, sont d’abord sous la juridiction des parlements et gouvernements nationaux et que ces derniers portent la plus grande part de responsabilité dans ces accaparements ;

Nous en appelons aux parlements et aux gouvernements nationaux pour que cessent immédiatement tous les accaparements fonciers massifs en cours ou à venir et que soient restituées les terres spoliées. Nous ordonnons aux gouvernements d’arrêter d’oppresser et de criminaliser les mouvements qui luttent pour l’accès à la terre et de libérer les militants emprisonnés. Nous exigeons des gouvernements nationaux qu’ils mettent en place un cadre effectif de reconnaissance et de régulation des droits fonciers des usagers à travers une consultation de toutes les parties prenantes. Cela requiert de mettre fin à la corruption et au clientélisme, qui invalident toute tentative de gestion foncière partagée.

Nous exigeons des gouvernements et Unions Régionales d’États, de la FAO et des institutions nationales et internationales qu’elles mettent immédiatement en place les engagements qui ont été pris lors de la Conférence Internationale pour la Réforme Agraire et le Développement Rural (CIRADR*) de 2006, à savoir la sécurisation des droits fonciers des usagers, la relance des processus de réformes agraires basés sur un accès équitable aux ressources naturelles et le développement rural pour le bien-être de tous. Nous réclamons que le processus de construction des Directives de la FAO* soit renforcé et qu’il s’appuie sur les droits humains tels qu’ils sont définis dans les différentes chartes et pactes internationaux - ces droits ne pouvant être effectifs que si des instruments juridiques contraignants sont mis en place au niveau national et international afin que les États respectent leurs engagements. Par ailleurs, il incombe à chaque état d’être responsable vis à vis de l’impact de ces politiques ou des activités de ses entreprises dans les pays ciblés par les investissements. De même, il faut réaffirmer la suprématie des droits humains sur le commerce et la finance internationale, à l’origine des spéculations sur les ressources naturelles et les biens agricoles.

Parallèlement, nous invitons le Comité de la Sécurité Alimentaire mondiale (CSA*) à rejeter définitivement les Principes pour des Investissements Agricoles Responsables (RAI*) de la Banque Mondiale, qui sont illégitimes et inadéquats pour traiter le phénomène, et à inclure les engagement de la CIRADR ainsi que les conclusions du rapport d’Évaluation Internationale des Connaissances, des Sciences et Technologies Agricoles pour le Développement (IAASTD*) dans son Cadre d’Action Globale.

Nous exigeons que les États, organisations régionales et institutions internationales garantissent le droit des peuples à avoir accès à la terre et soutiennent l’agriculture familiale et l’agroécologie. Ces initiatives doivent être basées sur l’agriculture familiale et la production vivrière agro-écologique. Des politiques agricoles appropriées devront prendre en compte les différents types de producteurs (peuples autochtones, éleveurs nomades, pêcheurs artisanaux, paysans et paysannes et bénéficiaires des réformes agraires) et répondre plus spécifiquement aux besoins des femmes et des jeunes.

Enfin, nous appelons les citoyen-ne-s et les organisations de la société civile du monde entier à soutenir - par tous les moyens humains, médiatiques, juridiques, financiers et populaires possibles - tous ceux et toutes celles qui luttent contre les accaparements de terres et à faire pression sur les gouvernements nationaux et sur les institutions internationales pour qu’ils remplissent leurs obligations vis à vis des droits des peuples.

Nous avons tous le devoir de résister et d’accompagner les peuples qui se battent pour leur dignité !

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