jeudi 20 août 2009

PROLOGUE

Comme d'habitude, départ du train avec 10 mn de retard. Un jeune homme s'affaisse sur la banquette, les sommets enneigés des Pyrénées brillent au dessus des vieilles bâtisses, nous dépassons Lourdes et sa laideur sacrée. Des chevaux paissent devant le petit aéroport de Tarbes. Denys, un ami terrassé par une crise de paludisme contractée après un séjour au Cameroun, vient sans doute de s'endormir après le passage matinal de l'infirmier...Le train s'arrête en pleine campagne, le haut-parleur annonce un troupeau de chèvres sur les voies. Je vois les touaregs privés de terre et d'eau au Niger, venir nous expliquer leur cause ; mais non, le contrôleur se pointe , les touaregs reprennent leur place dans l'article du "Monde" daté du 27 février et le train redémarre. Je regarde la carte du Niger, juste au-dessus du Burkina Faso où je dois atterrir dans quelques jours. Je veux trouver dans le pays des personnes qui pourront m'expliquer cette histoire qui mêlent des bandits , des défenseurs de la liberté de circuler pour les nomades et des militants de la liberté d'expression pour les habitants quels qu'ils soient...
Toulouse, je me soumets à un petit rituel, l'achat d'un palmier bien caramélisé, dans un quart d'heure, prochaine correspondance. Me voici à nouveau coincée dans un siège de TGV, derrière un grand mâle transpirant comme un cheval après le Grand Prix de Pau. Je ne vois plus que le haut des crânes d'une couleur uniformément châtain, j'entends des bruits de papier gras, des conversations entre des voyageurs énervés ; pourtant le train ne toussote pas, ni ne ralentit, il glisse docilement sur les rails ignorant la crise. L'éternelle question "où es-tu" fuse des portables, des petits mots s'échangent.
Pourquoi tant de civilité affichée et pourquoi tant de chiens ; un maître-chien vient de passer, suivi d'un pistolet, ça commence à sentir autre chose que la civilité...Narbonne approche, ses grands vignobles plats, ses bouquets de garrigue, ses faux ocres et son soleil. La Région Languedoc-Roussillon étale sa pub rouge et jaune sur le gris de ses trains de fer, il vente, un lotissement continue de monter ses parpaings dans la plaine quadrillée de cypressus... Bézier, 2 mn d'arrêt, des bérets rouges sur le quai, des femmes âgées habillées de gros bas et aux cheveux permanentés...des jeunes assis sur leur sac regardent en souriant devant eux leur horizon bouché. Les lotissements sont de plus en plus denses. Tous ces efforts pour bien se loger devenus de la fumée de prêts trop chers pour ceux qui ont cru au miroir du progrès que leur tendaient les promoteurs.
Voici les étangs, les mouettes, les pins parasols et les cuves à pétrole qui annoncent Montpellier. L'enseigne de la Foirefouille doit rassurer les maîtres-chiens. Je ne veux pas être rassurée ni inquiète, comme les héros de Keith Gessen, ces jeunes gens tristes et inquiets "d'être libres, en bonne santé, cultivés et de ne servir à rien"...L'échec individuel ou collectif est-il plus supportable si l'on possède une pratique politique ou au contraire plus supportable si le seul souci est de gérer l'achat de sa nouvelle voiture ?...Peut-on comparer l'incomparable, non et c'est bien là où réside le potentiel de nuisance et de défense du système néo-libéral.
A Nîmes, le chemin de rails est surélevé laissant affleurer des immeubles laids, leurs propriétaires ont encore des milliers d'hectares alentour où ils pourront presser le jus spéculatif jusqu'à plus soif. Dans ce TGV qui me rapproche de la Bourgogne, escale familiale, je pars à la recherche de la voiture bar, mais le bar n'est pas ouvert, il n'était plus rentable me susurre le contrôleur...les voyageurs restent silencieux.
Atterrissage à Ouagadougou, premières sensations, poussière, chaleur, la vie et le commerce à même la rue, le bruit, les mobylettes, les cris, les sourires, les conversations , les gros paquets sur les têtes enrubannées, les bébés noués dans le dos...la vivacité active mais aussi la résignation infinie dans le regard, courage, abnégation dans la répétition des gestes, nonchalance et élégance, mais derrière ces premières impressions et images, je vais découvrir un peu à la fois une conscience sociale forte chez ces individus dotés d'une grande générosité et d'une capacité d'invention étonnante, qualités nécessaires pour résister au formatage et à la propagande des grandes sociétés multinationales dont on sent la présence dans la capitale....à suivre.