jeudi 11 juin 2009

Amara

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Amara est préoccupé par la préparation d’une soirée qu’il organise dans un bar, "Aux Pics de Sindou", une sorte de guinguette qu’il loue. Il délègue à un ami la sonorisation, embauche des serveurs et un gestionnaire qu'il a formé. Amara attend avec angoisse le transporteur qui doit lui livrer les bières et les boissons gazeuses qui viennent de Banfora. Cette activité lui donne une certaine reconnaissance dans le village.

Amara a étudié au Canada les techniques audio-visuelles, il fréquente des réalisateurs de cinéma, européens ou africains qu’il a eu la chance d’accompagner de temps en temps ou plutôt de loin en loin car les contrats se font rares mais Amara ne semble pas en avoir tiré profit et cela au grand étonnement de ses compatriotes
qui s’en amusent!…Amara me dit qu’il aurait effectivement pu être riche car il a travaillé avec beaucoup de « toubabs », notamment comme accessoiriste et décorateur mais sa passion, c’est le développement de son pays et il veut faire ses preuves et réussir en étant utile à Sindou.
Il me rapporte un proverbe transmis par sa mère : « là où le varan maigrit, c’est là qu’il grossit » et il ajoute « les vrais maçons, on les juge au pied du mur ».
On parle des critères d’évaluation de la réussite sociale, il me donne l’exemple d’un simple enseignant qui se déplaçait beaucoup pour l’alphabétisation ; « cet homme ramenait chez lui chaque jour une grosse pierre, du grès rouge qu’il ramassait dans le site du Pics de Sindou ; il a construit sa maison avec ces pierres puis une deuxième, maintenant il a créé une pharmacie… Conclusion d’Amara : cet homme a fait preuve d’une grande intelligence pratique et il peut être un modèle, un passeur de l’innovation »…Mais ajoute-t-il, « beaucoup de gens n’ont pas les bases pour comprendre ».

Les faits lui donnent raison, près de 80% de la population est analphabète et vit de l’agriculture et de l’élevage dans un contexte climatique pas toujours favorable. Une des solutions préconisées pour la réduction de la pauvreté en général et le développement endogène en particulier réside dans l’organisation de campagnes d’alphabétisation où Amara, avec des films pédagogiques pourraient trouver sa place. Ainsi, Amara n’abandonne pas l’idée de produire et réaliser un film, il s’est construit une expérience professionnelle multiforme dans la réalisation de décor, dans la recherche des bons interlocuteurs, dans la gestion du matériel et dans l’aide au projet culturel qu’il aimerait valoriser un jour, pour servir le développement de Sindou.
Le lendemain soir, vers 21 heures, je le rejoins dans son bar, « au Pic de Sindou », où la fête bat son plein ; il s’agit de lycéens qui se réunissent pour la fin du trimestre. Les garçons ont le look « hip-hop » et les filles très « urbaines », la musique, de la Côte d’Ivoire.
Amara vient trinquer avec moi, à la santé de Denys, un bon copain toubab qui aurait dû être là pour terminer un film commencé il y a 4 ans, mais une grave crise de paludisme le retient à Paris…Nous sommes très inquiets pour lui. Nous parlons des Pics de Sindou que Denys a souvent filmés ; appelés aussi les Aiguilles de Sindou :
« Les pics de Sindou sont le prolongement de la chaîne qui forme la falaise de Banfora. Elle court du nord-est au sud-ouest du pays entre Bobo Dioulasso et Banfora, elle se prolonge, après Sindou, au delà de la frontière du Mali. Cette chaîne de grès est le fruit de l'érosion qui a raboté tous les terrains, dégageant les roches dures des terrains plus meubles emportés par les eaux. La pluie et le vent ont ensuite façonné cette roche et créé ces reliefs ruiniformes et fantomatiques.
Ce site naturel exceptionnel ne pouvait qu'attirer l'homme. Au XVIIIème siècle, fuyant les guerres tribales qui sévissaient dans la région de Sikasso dans l'actuel Mali, un groupe sénoufo dirigé par un grand chasseur, Massabari Wattara, se réfugie dans ce lieu. Massabari signe un accord avec les esprits qui hantent cet endroit surnaturel et fonde "Sindou", ("protection, abri de grande sécurité") ». Extrait de :








Amara m’emmène marcher à travers ces pics qu’il connaît bien ; c’est lui qui a formé les « guides » qui emmènent les touristes de passage ; je paie le péage d’entrée, 1000 francs CFA.. Les 40 degrés et les éboulis de roches rendent la progression très lente. Les couleurs sont belles à cette heure encore matinale, des marrons, des noirs, des rouges mordorés, quelques arbres éclaircissent le tableau de leurs feuilles vertes…
Séduit par la photogénie et la magie du lieu, le réalisateur Dani Kouyaté y a implanté, il y a quelques années, le décor de son premier long métrage: "Keita, l'héritage du griot". Amara m’explique que ce site est sacré pour les habitants de Sindou, les rites ancestraux sont encore vivaces et les habitants viennent régulièrement sur ce site pour des cérémonies traditionnelles. En témoigne cette aire cultuelle délimitée par des pierres, "le cadre sacré" où ils se réunissent périodiquement, hommes d'un coté et femmes de l'autre. La grosse pierre noire symbolise la présence du père fondateur de Sindou: Massabari Wattara.
Nous croisons des touristes qui iront sans doute se désaltérer à la buvette d’Amara ; Il existe un seul gîte d’accueil à Sindou et la plupart des touristes sont hébergés à Banfora, à 51 km du village ; Amara avait un projet de création de gîtes mais il n’a pas obtenu les aides nécessaires à leur réalisation, on lui a même cassé son projet…Lors des cérémonies du 8 mars, je me souviens que le maire s’était plaint au gouverneur de ne pas pouvoir loger les gens venus de Banfora et d’autres villes de la région…



Le soir, après une après-midi très calme, Amara me propose de marcher dans les collines de Cobada, une vaste étendue de pierres roses, noires et grises, une mer de galets de toutes formes, nous en ramassons ; perdue au milieu de ce désert de pierres, je pense au Sahara, à ses couleurs chaudes et à son caractère sauvage.. Nous croisons un habitant d'un hameau isolé dont nous nous approchons ; nous sommes accueillis avec curiosité mais grande sollicitude ; nous nous asseyons sur un banc improvisé et on nous offre aussitôt, comme le veut la coutume, un verre d'eau fraîche ; Amara a la confiance de l'ancien qui nous reçoit, je peux photographier la case aux fétiches, décorée, située à l’extérieur des cases d’habitation. La cérémonie des fétiches a eu lieu le 8 mars et Amara y a été invité mais il devait, ce jour-là, être à sa buvette…Ils ont sacrifié un mouton et un poulet.




Amara me parle de l’ancien, il a été prévoyant, il a planté, il y a 40 ans, les arbres de cola ; il cultive du petit mil sous les arbres ; des grossistes viennent lui acheter les noix de cajou qu’il stocke dans une grande case qu’il me fait visiter ; cela ressemble à un grand hangar où s’entassent des sacs pleins de grain à côté des fruits de l'anacardier déposés en vrac par terre. Questionné par Amara sur la qualité de sa terre, il nous explique qu'il étend de la paille sur la terre rouge qu'il laisse en jachère…

N.B. aujourd'hui, 16 juin, Denys, dont je viens de parler, vient de m'envoyer son blog en construction ! il est en convalescence mais se remet déjà au travail, il y explique ce qui lui est arrivé mais aussi parle de ses réalisations de documentariste engagé.
l'adresse de son blog : http://denyspiningre.blogspot.com/

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