jeudi 11 juin 2009

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Mais revenons à Sindou, avec Amara, Assa, sa femme, enseignante en alphabétisation, Angèle, sa copine, qui exerce le même métier dans un plus petit village, à 20 mn de distance en mobylette.
Nous sommes dehors, éclairés par le clair de lune autant que par les installations bricolées ingénieusement par Amara à partir de petites ampoules et de grosses piles.



L'électricité a été installée dans le village, mais au bout d'un mois, le transformateur est tombé en panne ; la plupart attendent son retour avec impatience, tout en sachant que c’est un luxe auquel beaucoup de ménages ne pourront accéder, faute de revenus, mais la rue principale sera éclairée me dit Assa et l’on pourra s’y promener tard dans la nuit…
Nous continuons à bavarder , Angèle est partie sur sa mobylette, elle n’est pas mariée mais un copain est venue la voir cette après-midi dans la cour et Assa, un peu amusée, m’en parle comme d’un mari ; elle me dit qu’ici le mariage, c’est très simple, il suffit de passer à la mairie et d’offrir des noix de cola ; chez vous, c’est plus compliqué me dit-elle.

En fin d’après-midi, les voisins qui rentrent de leurs activités saluent longuement Assa ; elle répond à chacun en interrompant son activité ; elle me dit que c'est la coutume. Assa vient d’un autre village et d’une autre ethnie(1), elle parle de différence de pratiques et d'effort d'intégration...Dans son village, on ne traverse pas les concessions, elles sont clôturées ; à Sindou, il n'est pas incorrect de traverser la cour en saluant les personnes qui vaquent à leurs occupations...Ici, toute la vie se passe dehors, du lever du soleil à son coucher et quand la chaleur est étouffante, on dort sur une natte hors de la case.
Au niveau des relations interpersonnelles, les notions de vie privée, d'intimité et d'identité personnelle sont en relation avec des références et des traditions différentes des nôtres et sont en constante évolution ; il faudrait vivre beaucoup plus d'un mois au Burkina pour pouvoir les analyser avec pertinence...
La recherche en anthropologie développe actuellement une réflexion sur la notion d'identité comme "coutume", mode de vie et valeur, comme référence et code moral. "L'identité, disait J.M. Tjibaou, ne nous est pas donnée clé en main par l'histoire : il y a toujours réinterprétation en fonction du besoin des acteurs dans le présent". B.Vienne, dans un article du Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, dirigé par Pierre Bonte et Michel Izard, écrit que : "le développement des communications, la mobilité accrue, l'accélération et la multiplication des échanges, les contacts et les diverses formes de métissage, qui brouillent et interpellent les systèmes de références identitaires habituels, nous conduisent à de nouvelles mises en perspective de l'identité". (édité en 2000 en collection poche « Quadrige. Dicos poche », première publication en 1991).
(1) Ethnie, le signifiant est utilisé par Assa, j'ai donc cherché à approfondir ce que recouvre cette notion d'ethnie ; dans l'ouvrage que je viens de citer, A.C. Taylor écrit que "le développement d'une perspective historique en anthropolgie permet d'approfondir la critique de l'éthnie comme substance, et de déplacer l'accent vers les mécanimes d'"ethnification"...on s'est aperçu que la cristallisation d' "ethnies" renvoie à des processus de domination politique, économique ou idéologique d'un groupe sur l'autre...l'analyse de ces phénomènes suscite chez les ethnologues de très vifs débats...une des conclusions que la discipline a tiré de ses recherches, c'est que l'ethnie n'est rien en soi, sinon ce qu'en font les uns et les autres, elle peut s'appliquer à des contenus sociaux très hétérogènes."

Assa travaille dans un centre d’éducation de base non formelle, elle commence à 8 h et termine à 11 au lieu de 12 h 30 car elle allaite sa deuxième fille, Madina, 9 mois ; une très jeune fille garde le bébé pendant son absence, une parente du chef des fétiches. Cette fillette n’était pas scolarisée ; elle le sera l’année prochaine dans l’école d’Assa, elle bénéficiera d’une remise à niveau…

Amara me parle d'une amie, Aude, une suissesse de cinquante ans qui a créé l'association "En tout cas" pour l’alphabétisation des jeunes ; elle parraine des jeunes et verse l’équivalent de 10 euros par mois et par jeune. Les donateurs envoient aussi des vêtements, certains enfants du village ne sont en effet pas scolarisés par manque de vêtements corrects. Pour inscrire un enfant à l'école, il faut payer 1500 francs CFA, acheter les livres, payer une tenue...
Ablacé, coordinateur à Ouagadougou de l'AIDMR, association interzones de développement en milieu rural (que je vous présenterai dans un prochain message) me raconta qu'il fut inscrit à l'école en 1979, grâce à l'insistance de son oncle auprès de son père ; celui-ci alla chercher auprès d'autres familles des vieux livres pour son fils car il n'avait aucun moyen d'en acheter, pas le moindre animal à vendre, la seule richesse de son père était son vélo...

Ce soir, Assa nous sert un plat de bananes plantain frites, je préfère ce plat à la purée de maïs accompagnée de gombo, mais ce qui me plait encore plus c'est l'atchéké, à base de manioc séché et cassé en petites graines ainsi que le fonio avec une sauce à l'arachide !


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